Edouard était soudainement devenu un membre qui comptait au sein du groupe. Lui qui avait toujours fait profil bas, se retrouvait directement à la droite de Karin, une jeune femme au potentiel élargi. Elle avait été une proche de William et il était juste qu’elle prenne la relève. Mais elle ne souhaitait pas commettre la même erreur que ce dernier et, sur les conseils du jeune homme, elle créa une assemblée de cinq personnes qui se partageraient le pouvoir et la direction du Clan. En agissant de la sorte, en devenant le Conseiller privilégié de la jeune femme, Edouard était devenu « quelqu’un ». Il n’était pas un emblème, ni même un symbole. Il était de loin le plus inadapté des cinq qui seraient choisis mais Karin avait néanmoins décidé de l’intégrer. Il avait aussi découvert la jeune femme dans sa fragilité. Bien qu’ils étaient dans le noir, il avait ressenti la faiblesse de cette dernière, ce qui faisait sûrement une partie de son humanité.
** * **
Il mangeait. Seul. Il s’était volontairement mis à l’écart du groupe, comme il l’avait toujours fait. Il avait encore senti quelques regards des membres. Beaucoup devaient se demander comment il en était arrivé à ce qu’il était aujourd’hui. Certains devaient se dire qu’il était trop timide. D’autres devaient penser qu’il n’était pas à sa place et qu’il aurait déjà dû crever depuis longtemps. Lui-même le pensait encore souvent. Si beaucoup remerciaient quelques volontés divines dans leurs survies, il se demandait à chaque réveil comment il vivait encore. Aussi, s’éloignant du groupe, s’installant dans la cabine qui était sa nouvelle chambre, il avait pris la boîte de conserve, restant silencieux.
Quelqu’un frappa à sa porte et, sans même attendre qu’il l’invite, une jeune femme se réfugia dans la pièce, une peur panique se lisant dans son regard. Tremblante, hésitante, sûrement la gorge sèche, la jeune femme, sûrement âgée entre 17 et 19 ans, finit par dire ce qu’elle avait sur le cœur. «
C’est … C’est Karin. Elle … Elle n’est pas revenue. » Edouard fronçait les sourcils. Revenue d’où ? Déjà s’était-il redressé, oubliant la boîte de conserve. Elle ne pouvait pas lui faire ça. Elle ne pouvait pas l’abandonner. Autrement, par sa faute, si elle disparaissait, en s’étant affiché avec elle, il serait désigné comme son successeur.
Non. Non. Non.
«
Revenue d’où ? Parle ! » Il tremblait. Son esprit était soudainement entré en ébullition. Elle ne l’avait pas informé de quoi que ce soit et avait disparu sans dire un mot. «
Je … Je lui ai parlé de la récente découverte. Une partie du bâtiment qui est instable et … Elle est partie aussitôt voir ce qu’il en était. Elle m’a dit de vous prévenir si … Si elle n’était pas revenue pour le repas … Et elle n’est pas là. » Déjà, il craignait le pire. Pourquoi Karin avait-elle été aussi irresponsable ? Pourquoi n’avait-elle prévenu pour personne ? Pensait-elle donc que tout cela était sans danger ? Avait-elle seulement pensé aux conséquences de sa disparition prématurée ? Il avait soudainement l’envie de la détester. «
Tu aurais dû venir me prévenir de suite. » Puis, alors qu’il passait à ses côtés, il se rappela les vieux conseils de sa psychologue. Toujours rassurer une personne en panique. Aussi, s’arrêtant à sa hauteur, il tenta un vague sourire rassurant. «
Tout ira bien. Je te l’assure. Je vais la retrouver et elle ira bien. Elle n’a pas vu le temps passer, je suppose. Tu la connais mieux que moi. » Il tente autant de se rassurer lui que la jeune femme. Pourtant, plutôt que de partir sans elle, il ajoute. «
Indique-moi le lieu. »
C’est ainsi que, discrètement, alors qu’il avait repris son couteau de cuisine –tout en espérant ne pas devoir en user-, il s’était équipé d’une lampe torche. Une fois arrivé sur le lieu, il se tourna à nouveau vers la jeune femme. Il devait paraître assuré. Il le voulait. Pourtant, alors qu’il déglutissait, il craignait surtout le pire. «
Retourne discrètement avec les autres. N’alerte personne. Si quelqu’un te pose une question, tu ne dis rien. Nous allons revenir tous les deux, sains et saufs. » Il ajoute encore. «
Tu dis que nous sommes de sortie pour une durée indéterminée. Ne crée surtout pas la panique dans le groupe. Si chacun se lance dans des recherches improvisées, nous courrons à notre perte. » Et, une fois dit, il se retourne et s’en va sans attendre l’approbation de la jeune femme.
Karin …
Il avait allumé sa lampe torche et avançait avec prudence dans le détale de ruines. Dans sa main gauche, il tenait son couteau, sans réellement savoir comment il devait l’utiliser. Dans la droite, une lumière vacillante et tremblante éclairait le chemin. Il n’osait l’appeler. Il aurait suffi d’un Infecté et il était foutu. Aussi, d’un pas mal assuré, hésitant, il continuait d’avancer.
Il avait vomi. Lorsqu’il ne voyait plus la jeune femme, il avait remis son dernier repas. Il paniquait. Il était en pleine crise de panique. Il avait été téméraire. Non seulement il s’était lancé dans une recherche par lui-même mais, en plus, il avait tenté de rassurer une jeune femme. Beaucoup trop en une seule fois. Et toutes les questions qui se bousculaient dans son esprit. Qu’était-il arrivé à Karin ? Que deviendrait le Clan sans elle ? Non. Il ne devait pas penser de la sorte. Surtout éviter de penser à cela.
Sa lampe éclaira bientôt une tâche de sang et quelques boyaux. Aussitôt, une envie lui monta à la gorge et, se retenant de vomir, il observa les déchets pestilentielles. Nul doute, elle était passée par là. Sur la droite, un autre chemin conduisait plus bas, sûrement dans les égouts de Paris. Ou il pouvait continuer son chemin, tout droit. Mettant son bras devant son nez et sa bouche, Edouard observa encore plus attentivement. Karin avait glissé là. Elle n’avait pas été prudente et, comme le laissaient supposer les différentes traces, elle avait continué son chemin – contre son gré – vers le bas.
Putain. *
Je te déteste, Karin.*, aurait-il tant aimé pouvoir lui dire. Lui faire savoir qu’il agissait de façon imprudente pour elle. Serrant le poing, il s’était un instant retourné vers le lieu d’où il venait. Devait-il faire demi-tour et prévenir l’ensemble du Clan ? Ou seulement s’équiper en conséquence de sa nouvelle découverte ? Mais Karin devait être blessée et en danger. Il n’avait pas le temps.
Avançant avec prudence vers le bas, se retenant encore de remettre son estomac vide, il descendait à la rencontre de Karin, priant qu’il ne faisait pas un tel voyage pour rien. S’il la découvrait morte, il ne savait pas encore comment il réagirait. Dans quel était serait-elle ? Mais, nul doute, il était sur la bonne piste. Un instant, sur quelques anciens fondements, quelques tissus déchirés apparaissaient. Elle était là-bas, quelque part. Quelque part, quelques gravats tombaient et il s’arrêta. Il détestait ce bruit. Et si quelque chose lui tombait sur la tête ? Ils auraient l’air fin, bloqués en bas avec Karin. Il devait rester aussi prudent que la situation le lui laissait l’occasion. Il ravala encore une fois sa salive, continuant de prier pour ne pas tomber sur le corps inerte de la jeune femme.
Il finit par la découvrir. Là. En bas. Elle ne bouge plus. Aussi, il se présente vers elle. «
Karin ! », dit-il, sans penser aux Infectés qui peuvent être dans les alentours. Mais elle ne réagit pas à son prénom. Un instant, il s’arrête. Peut-il seulement se permettre de la toucher ? Accepterait-elle ? Il hésite. Puis il finit par toucher son cou et sent son pouls. Elle vit. Un instant, il bascule en arrière, rassuré de la trouver encore vivante. Il soupire. Puis, sans qu’il ne puisse résister, il vomit d’une traite. Il doit encore s’occuper d’elle. Se rappelant quelques lectures médicales, il vérifie d’abord la tête et s’assure qu’aucune blessure importante ne s’y trouve. Heureusement, il n’y trouve rien qu’il doit soigner sur place. Un instant, il hésite à lui enlever son bandage et vérifier l’état de son œil. Puis il recule. Il n’a pas à violer son intimité de la sorte. Vérifiant qu’il n’y ait aucune trace de sang sur son chemisier, il s’évite de l’enlever et la découvrir trop dénudée. Finalement, il s’arrête sur ses jambes où il découvre une large plaie ouverte. Il doit s’en occuper maintenant. N’ayant aucun matériel approprié sur lui, le jeune homme se résout à lui offrir un simple garrot de fortune.
C’est alors que, la tirant lentement vers un mur, il la relève doucement pour la mettre assise. C’est alors qu’il se pose en face d’elle, attendant qu’elle se réveille. Il sait déjà qu’il ne pourrait pas la tirer jusqu’en haut. Pas tout seul. Et il ne pouvait pas non plus l’abandonner. Aussi, avec son pull qui lui manque dorénavant une manche, il patiente en silence.