Comme toujours, le sommeil de Mikaël avait été agité de cauchemars.
Il avait tendu son hamac entre les poutres du plafond, en hauteur, hors de vue d'un infecté ou d'un pillard négligeant. Réveillé depuis une bonne heure, il avait attendu en silence le jour pour se lever. Hors de question de se signaler en allumant une lumière électrique, visible à des kilomètres. D'autant qu'il devait économiser ses précieuses piles, une bonne monnaie d'échange avec d'éventuels survivants.
Une fois descendu de son perchoir, il s'étira puis descendit son sac à dos lui aussi fixé en hauteur. Il en tira une bouteille d'eau remplie la veille dans un ruisseau et une petite trousse de toilette. Une fois ces "outils" posés sur le rebord de la fenêtre, il enleva le gilet tactique noir qu'il avait gardé pour dormir, ses gants et finalement son capuchon. Puis, avec précaution, il ôta son masque à gaz.
Au lieu de le poser l'objet sur le reste de ses affaires, il le retourna, l'inspecta. Les premières semaines il avait trouvé l'objet étouffant; maintenant il y était habitué. C'était devenu un objet quotidien, nécessaire à sa survie.
Et son visage lorsqu'il était hors du château.
C'était un modèle civil, sans doute venu d'une centrale nucléaire. Deux gros hublots en plexiglas renforcés augmentaient légèrement le contraste et cachait ses yeux. Un respirateur intégré couvrait sa bouche alors que plusieurs lanières venaient enserrer la tête. Il fit légèrement pivoter l'objet pour que la lumière du soleil se reflète sur le plexiglas. Aucun éclat.
Satisfait de cet examen, il posa le masque à gaz sur son sac avant de retirer son blouson, dont il gardait la capuche rabattue quand il sortait, et son T-shirt, noir lui aussi.
Une fois torse nu, Mikaël vérifia le laçage de ses chaussures militaires, l'attache de son pistolet dans le holster à sa ceinture et le poignard sanglé à sa cheville.
Puis il enchaîna des pompes, des abdos et des tractions, utilisant les poutres du grenier.
Il n'était ni vraiment massif ni maigre, avec une musculature plus sèche que vraiment saillante. On voyait qu'il mangeait à sa faim, même si son ordinaire de ces derniers jours s'était appauvrit comparé à celui du château. Grand avec son mètre quatre-vingt, il ne pesait que soixante-quinze kilos.
Une fois ses exercices terminés, il utilisa l'au de la bouteille pour une rapide toilette, avant de sortir un petit rasoir pliable aussi bien aiguisé que son nom l'indiquait.
Le survivant grimaça légèrement alors que la lame passait sur ses joues. Un peu de sang coula sur sa peau claire. Il s'était coupé.
Une fois son rasage achevé, Dague s'essuya avec un linge qu'il nettoyait aussi souvent que possible, et observa son reflet dans le miroir.
Il avait des traits fins et des cheveux noirs, sans rien de particulier. Ses yeux bleus étaient la seule chose qui le fasse vraiment sortir de la norme.
Durant quelques secondes, il observa son expression, ou plutôt son absence d'expression.
articula-t-il.
Sa voix semblait rouillée à ses propres oreilles. Il n'avait vu personne depuis son départ, personne de vivant en tout cas. Alors discuter...
Il se détourna. Il y avait mieux à faire, et pas de temps à perdre.
En quelques minutes, Mikaël se rhabilla des pieds à la tête, mangea quelques biscuits tout en rassemblant ses quelques affaires. L'heure était venue de quitter les lieux, et de se remettre en route.
À travers le plexiglas, il jeta un coup d’œil à sa silhouette qui se reflétait dans la fenêtre crasseuse. Il y vit l'image vague d'un homme au visage entièrement caché par son masque à gaz et une capuche, portant une tenue noire vaguement militaire et un gros sac à dos.
Sans perdre plus de temps, il sortit.
.
La route s'étendait à perte de vue, sur des kilomètres. Afin d'éviter les centres de populations, grouillants sûrement d'infectés malgré l'évacuation tardive ordonnée par les autorités, Mikaël avait choisit d’emprunter l'autoroute. Il était plus visible, mais il n'y avait que quelques quelques véhicules abandonnés pour entraver sa progression. La voie menant à la capitale était toute à lui.
Les premières heures de marches se déroulèrent sans encombre. La température était encore assez agréable, et sa nuit de repos l'avait laissé plein d'énergie. Mais au bout de quelques temps, la chaleur commença à se faire sentir sous ses vêtements épais et le masque. Il dut ralentir le rythme.
Tout était figé dans une étrange immobilité silencieuse. Comme un autre monde, avec quelque chose de lunaire. Les voitures étaient restés là, sur cette route déserte depuis des mois. Un peu d'herbe avait commencé à poindre, profitant des faiblesses du bitume laissé à l'abandon. Si des infectés avaient un jour déambulé dans le secteur, ils avaient finit par l'abandonner. Morts ou vivants, il n'y avait pas d'êtres-humains.
Sans doute le survivant solitaire en rencontrerait-il plus à mesure qu'il s'approcherait de la ville...
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand une large forme sombre sur le goudron attira son attention au loin. À mesure qu'il se rapprochait il finit par comprendre ce qu'il voyait.
C'était un cratère d'obus, large de plus de cinq mètres et au fond tapissé d'une eau boueuse.
Mikaël avait entendu parler du bombardement, mais jamais put constater de si près l'ampleur des dommages. La pluie d'obus qui s'était abattue sur la capitale avait dut causer des dégâts inimaginables.
Un mal nécessaire autant qu'un acte désespéré de l'armée, qui perdait rapidement le contrôle de l'épidémie.
Il resta quelques secondes à contempler l'eau stagnante puis il se remit en marche.
C'est à ce moment qu'il remarqua que la voie à côté de lui, celle servant à quitter la ville, était encombrée de milliers de véhicules formant de longues colonnes immobiles sur des kilomètres. C'était ceux des réfugiés partis trop tard et bloqués par le chaos, obligés de fuir à pied.
L'évacuation avait été menée impitoyablement, coûte que coûte.
Qu'allait-il trouver une fois en ville?
Tout en continuant sa marche solitaire, Mikaël se mit à penser aux circonstances improbables qui l'avaient amené sur cette route.
Deux ans plus tôt, alors que l'épidémie débutait à peine, il menait une vie heureuse. Pas idéale, sans doute, mais il peinait à se souvenir de ce qui lui causait des soucis à l'époque.
Il avait terminé les cinq années réglementaires au sein de l'armée, et choisit de regagner le monde civil au lieu de suivre les conseils de ses supérieurs et de postuler pour les unités spéciales. Cette décision alors qu'il n'avait pas encore 23 ans avait un nom: Émilie.
Mikaël l'avait rencontrée peu après son arrivée dans sa ville d'affectation. Malgré leurs quelques années de différence, ils avaient filé le parfait amour, jusqu'à ce qu'il la demande en mariage, au retour de sa deuxième opération extérieure, en Afrique.
Elle avait refusé. Vivre comme épouse d'un militaire souvent absent l'effrayait. Leur couple n'avait pas survécu à cet échec.
Au fond de lui même il comprenait trop bien Émilie pour lui en vouloir. Son père était partit avant même sa naissance et sa mère l'avait élevée seule, tout en continuant son travail d'infirmière.
Cette histoire ratée l'avait fait réfléchir sur sa vie, si bien qu'un an plus tard, Mikaël était revenu frapper à sa porte, en tant que civil cette fois. Il s'était fait embaucher pour travailler au stand de tir du coin, et commencé à construire une nouvelle vie.
On l'appelait désormais par son prénom plutôt que par son surnom hérité de l'armée, Dague. Bien plus court que Dagovitch, son vrai nom trahissant ses lointaines racines de russe blanc.
Un mois après son retour, il était fiancé.
C'est à peu près à cette époque que l'épidémie commença à faire parler d'elle, sans changer grand chose à la vie de Mikaël. Encore aujourd'hui, il se demandait comment ils avaient pu être à ce point aveugle à la catastrophe à venir. Peut être que personne ne voulait voir, tout simplement. C'était tellement plus simple de croire sur parole les communiqués rassurants du gouvernement... Et au fond, cela lui avait aussi permis de vivre les mois les plus heureux de sa vie.
Mais au bout d'un moment, même les plus optimistes commencèrent à s'inquiéter, alors que l'armée semblait prendre les commandes de la crise.
Certains voulaient fuir... Mais pour aller où? Le monde entier semblait touché. Et l'Europe ne s'en tirait pas si mal; de nombreux pays sombraient dans la guerre totale contre l'infection. Un combat perdu d'avance... Les gradés tombaient malades, désorganisant les armées et les gouvernements.
Lentement mais sûrement, l'anarchie s'installait en France aussi alors que la technologie cessait de fonctionner, faute d'entretien.
Sa mère avait été réquisitionnée à l'été 2022, et il ignorait où elle se trouvait quand Émilie était tombée malade à son tour.
Trois petites années les séparaient, mais cet écart avait fait la différence. Mikaël avait passé les deux jours suivants à son chevet, alors qu'elle changeait peu à peu. Les infectés étaient abattus par les autorités, mais cette mesure était de plus en plus difficile à appliquer vu le nombre de cas.
La deuxième nuit, l'ancien militaire alla chercher un des pistolets qu'il gardait dans son abri de jardin. Cette nuit là, il pleuvait.
Alors qu'elle ne quittait plus le lit depuis des jours, celle qu'il aimait se leva pour le suivre à l'extérieur.
Une unique détonation résonna, puis Mikaël se laissa tomber à genoux dans l'herbe trempée de pluie. Émilie était morte.
Pour certains l’Apocalypse avait commencé depuis un moment, mais c'est cette nuit là que le monde de Mikaël s'effondra.
Alors qu'il marchait, plongés dans ses pensées, des nuages noirs envahissaient peu à peu le ciel. Le vent s'était levé.
Mikaël fit une courte pause au sommet d'un pont. Autour de lui, le même paysage de désolation s'étendait à perte de vue. Les impacts d'obus se faisaient plus nombreux, à mesure qu'il se rapprochait de Paris, et des silhouette décharnées étaient visibles au loin, errant au milieu des ruines. Il avait aussi vu plusieurs cadavres, laissés à l'abandon depuis longtemps.
Son objectif n'était plus qu'à quelques kilomètres... Mais une fois entré en ville, il devrait redoubler de vigilance. Les infectés ne seraient pas la seule menace; il ignorait tout des survivants de la zone. Durant ses précédents périples, il avait mainte fois vu des gens s'entre-tuer pour beaucoup moins qu'un pistolet ou ce qu'il transportait dans son sac à dos.
Après avoir un peu soufflé il se remit en marche. Plus il arriverait vite, plus il aurait de temps pour trouver un abri sûr avant la nuit.
Mikaël allait replonger dans ses pensées quand un choc sur sa droite suivit d'un grognement assourdi le fit sursauter. Par réflexe il dégaina le long poignard de son fourreau fixé à son gilet tactique et recula d'un bond contre la rambarde du pont. Sa respiration s'était accéléré, résonnant dans son masque alors qu'il regardait autour de lui.
Le bruit provenait d'une des rares voitures abandonnées sur la voie qu'il suivait vers la capitale. Un infecté était installé sur le siège conducteur, encore sanglé par sa ceinture de sécurité. En voyant passer Mikaël, il s'était soudain animé. Ses main décharnés grattaient contre la vitre, alors que son visage squelettique fixaient avidement le survivant hors de sa portée.
Tout en calmant sa respiration, ce dernier regarda autour de lui. La créature semblait bien être seule. Elle ne représentait pas de danger.
Dague allait se remettre en marche, quand une idée germa soudain dans son esprit. Sans rengainer son couteau il s'approcha doucement de la voiture.
Aussitôt l'infecté redoubla d'effort, grognant et grattant de plus belle.
Mikaël grimaça. Autant en finir vite.
Il posa son sac devant lui et y fouilla quelques secondes, pour en tirer un petit bidon d'essence à moitié plein. Sa seule chance de quitter la ville: il avait vidé le réservoir du quad avec lequel il était venu avant de le cacher pour éviter qu'un autre survivant ne s'en empare. Grâce à la créature prisonnière, il venait de trouver la cachette idéale.
S'efforçant de ne pas entendre les bruits de l'infecté, et à ne pas imaginer les doigts et les dents avides à quelques centimètres de lui, il se plaqua au sol et envoya le bras sous le véhicule. Il posa le bidon là, hors de vue, puis roula sur le côté et se remit debout, bien plus vite que nécessaire.
-Saloperie... lâcha-t-il entre ses dents.
Sa respiration résonnait dans son masque, à nouveau, comme s'il venait de courir. Pourtant l'ancien militaire n'attendit pas de récupérer: il ramassa son sac et se remit en marche.
Derrière lui, l'infecté le suivait des yeux et si il avait pu exprimer quelque chose on aurait juré qu'il jetait un regard de dépit au survivant qui s'éloignait.
Mikaël avait parcouru une centaine de mètres, quand un bruit inhabituel lui fit lever la tête.
Se détachant clairement sur les nuages sombres, deux traînées blanches suivaient un avion, dont les moteurs rugissaient tels un dragon.
C'était un chasseur-bombardier, militaire sans aucun doute, même s'il ne discernait aucun marquage. C'était donc vrai... La civilisation existait encore, quelque-part, avec assez de ressources et d'organisation pour faire voler l'engin.
Durant de longues secondes, il regarda l'appareil s'éloigner vers la ville. Sous son masque, il souriait.
Et puis il se remit en marche. Mais alors qu'il avançait, son regard s'arrêta sur un cratère laissé par une explosion. Une question tempéra son soudain accès d'enthousiasme.
Que venait exactement faire cet avion?
Tandis qu'il continuait sa marche, ses pensées se remirent à dériver vers le passé, l'époque de ses premiers pas sur les routes ce nouveau monde.
Après la mort d'Émilie, il était partit sans se retourner. La petite ville tranquille où ils habitaient était hantée de trop de souvenirs pour qu'il cherche à rester avec les survivants locaux. De toute façon, un peu partout, la civilisation tombait en lambeau comme de la chair pourrie.
Les semaines suivantes avaient été un difficile apprentissage. Le danger était partout, même pour un ancien soldat, rompu à l'art du combat et bien équipé grâce aux armes récupérées au stand de tir. Les infectés n'étaient qu'une partie de la menace permanente qui pesait sur les survivants; les groupes de pillards et le désespoir étaient des ennemis plus sournois, et dangereux.
Plusieurs fois, Mikaël avait posé son arme contre son menton. Juste pour oublier. S'échapper, enfin.
Il s'était retrouvé dans plusieurs situations ou ne rien faire aurait suffit à en finir. Pourtant il s'était entêté à survivre, envers et contre tout. Il n'avait jamais pu presser la détente pour tirer la balle qui le délivrerait.
Peut-être qu'il avait eu honte de vouloir mourir alors que si peu avaient eu la chance de survivre. Ou bien son instinct de survie était-il tout simplement trop développé pour en finir.
Rapidement, il avait décidé de rechercher sa mère. Il s'était imposé ce but presque artificiellement, pour ne pas devenir fou. Les chances de trouver une femme de cette âge, morte ou en vie, sans même savoir où chercher étaient nulles.
Malgré ça, seul ou avec de petits groupes il avait quadrillé le pays, suivant de maigres pistes qui tenaient autant du fait que de son imagination. Il avait frôlé la mort plusieurs fois, et apprit à laisser de côté qui il était.
Mikaël était redevenu Dague, poursuivant une quête impossible à laquelle il ne croyait pas vraiment.
C'est à cette époque qu'il avait commencé à porter un masque à gaz. À la fois dans l'espoir de se protéger de l'infection, puisqu'il approchait de l'âge des malades les plus jeunes, mais aussi pour prendre de la distance avec celui qu'il était. Ce nouveau visage lui collait à la peau, l'aidait à faire ce qu'il fallait pour survivre.
Il s'était endurci, comme tous les survivants sans doute. Enfermé en lui-même.
Cette vie d'errance solitaire avait duré jusqu'au jour où il avait ramassé un vieux poème grégorien, dans une église où il comptait passer la nuit. Le texte avait été laissé bien en évidence, mais il n'y avait pas âme qui vive.
Le Dies Irae.
"Jour de Colère". Un nom approprié pour la fin du monde.
- Dies Irae (latin):
Dies iræ, dies illa,
Solvet sæclum in favílla,
Teste David cum Sibýlla !
Quantus tremor est futúrus,
quando judex est ventúrus,
cuncta stricte discussúrus !
Tuba mirum spargens sonum
per sepúlcra regiónum,
coget omnes ante thronum.
Mors stupébit et Natúra,
cum resúrget creatúra,
judicánti responsúra.
Liber scriptus proferétur,
in quo totum continétur,
unde Mundus judicétur.
Judex ergo cum sedébit,
quidquid latet apparébit,
nihil inúltum remanébit.
Quid sum miser tunc dictúrus ?
Quem patrónum rogatúrus,
cum vix justus sit secúrus ?
Rex treméndæ majestátis,
qui salvándos salvas gratis,
salva me, fons pietátis.
Recordáre, Jesu pie,
quod sum causa tuæ viæ ;
ne me perdas illa die.
Quærens me, sedísti lassus,
redemísti crucem passus,
tantus labor non sit cassus.
Juste Judex ultiónis,
donum fac remissiónis
ante diem ratiónis.
Ingemísco, tamquam reus,
culpa rubet vultus meus,
supplicánti parce Deus.
Qui Maríam absolvísti,
et latrónem exaudísti,
mihi quoque spem dedísti.
Preces meæ non sunt dignæ,
sed tu bonus fac benígne,
ne perénni cremer igne.
Inter oves locum præsta,
et ab hædis me sequéstra,'
státuens in parte dextra.
Confutátis maledíctis,
flammis ácribus addíctis,
voca me cum benedíctis.
Oro supplex et acclínis,
cor contrítum quasi cinis,
gere curam mei finis.
Lacrymósa dies illa,
qua resúrget ex favílla
judicándus homo reus.
Huic ergo parce, Deus.
Pie Jesu Dómine,
dona eis réquiem. Amen.
- Dies Irae (français):
Jour de colère, que ce jour-là
Où le monde sera réduit en cendres,
Selon les oracles de David et de la Sibylle.
Quelle terreur nous saisira
lorsque le Juge apparaîtra
pour tout juger avec rigueur !
Le son merveilleux de la trompette,
se répandant sur les tombeaux,
nous rassemblera au pied du trône.
La Mort, surprise, et la Nature
verront se lever tous les hommes
pour comparaître face au Juge.
Le livre alors sera ouvert,
où tous nos actes sont inscrits ;
tout sera jugé d'après lui.
Lorsque le Juge siégera,
tous les secrets seront révélés
et rien ne restera impuni.
Dans ma détresse, que pourrais-je alors dire ?
Quel protecteur pourrai-je implorer ?
alors que le juste est à peine en sûreté…
Ô Roi d’une majesté redoutable,
toi qui sauves les élus par grâce,
sauve-moi, source d’amour.
Rappelle-toi, Jésus très bon,
que c’est pour moi que tu es venu ;
Ne me perds pas en ce jour-là.
À me chercher tu as peiné,
Par ta Passion tu m’as sauvé.
Qu’un tel labeur ne soit pas vain !
Tu serais juste en me condamnant,
mais accorde-moi ton pardon
lorsque j'aurai à rendre compte.
Vois, je gémis comme un coupable
et le péché rougit mon front ;
Seigneur, pardonne à qui t’implore.
Tu as absous Marie-Madeleine
et exaucé le larron ;
tu m’as aussi donné espoir.
Mes prières ne sont pas dignes,
mais toi, si bon, fais par pitié,
que j’évite le feu sans fin.
Place-moi parmi tes brebis,
Garde-moi à l'écart des boucs
en me mettant à ta droite.
Quand les maudits, couverts de honte,
seront voués au feu rongeur,
appelle-moi parmi les bénis.
En m’inclinant je te supplie,
le cœur broyé comme la cendre :
prends soin de mes derniers moments.
Jour de larmes que ce jour-là,
où, de la poussière, ressuscitera
le pécheur pour être jugé !
Daigne, mon Dieu, lui pardonner.
Bon Jésus, notre Seigneur,
accorde-lui le repos. Amen.
Mikaël resta un long moment dans cette église.
Les mots du poème résonnaient étrangement en lui, peut-être à cause de la croix laissée par sa mère qu'il portait autour du cou, ou à cause de son prénom, Mikaël, la version en hébreu de Michel. Un passage surtout, le hantait.
Le livre alors sera ouvert,
où tous nos actes sont inscrits ;
tout sera jugé d'après lui.
Lorsque le Juge siégera,
tous les secrets seront révélés
et rien ne restera impuni.
Dans ma détresse, que pourrais-je alors dire ?
Quel protecteur pourrai-je implorer ?
alors que le juste est à peine en sûreté…Il croyait en Dieu, même s'il lui arrivait souvent de se demander quelle était sa responsabilité dans "tout ça". Mais à quoi servait la foi si elle s'effaçait quand les choses allaient mal? Pour Mikaël, le Jugement viendrait, sans aucun doute.
Et ce jour là, que dirait-il?
Depuis qu'Émilie était morte, il avait passé son temps à vivre égoïstement à l'écart en poursuivait le fantôme d'une femme morte, pour échapper à celui d'une autre qu'il avait tué de ses mains. Ça ne menait nulle-part.
Tout ce temps, il aurait put aider les autres. Il ne l'avait pas fait, préférant errer de camps de réfugiés déserts à des hôpitaux de fortunes abandonnés depuis longtemps. Il laissait derrière lui les gens qu'il rencontrait, sans se retourner, jugeant même parfois froidement leurs chances de survie. Combien étaient morts depuis qu'il leur avait tourné le dos?
Au matin, il avait prit une décision.
Les morts avaient assez hanté sa vie. Il était temps de rejoindre les vivants. Et il restait beaucoup de gens qu'il pouvait aider, protéger.
Et qui sait? Peut-être trouverait-il de l'espoir sur ce nouveau chemin...
Quelques jours plus tard, Mikaël avait rencontré un petit groupe, survivants d'une communauté décimée. Ils cherchaient un nouveau refuge, et l'aide d'un membre expérimenté de plus augmenta notablement leurs chances de survie.
Alors qu'il apprenait à connaitre son nouveau groupe, le Dague solitaire s'aperçut qu'il appréciait cette nouvelle vie de communauté. Il se sentait enfin utile à quelque chose.
Ils continuèrent ainsi presque un mois, jusqu'à ce que leur bivouac soit attaqué par un petit groupe de pillards. Concentrée sur les infectés, la garde des survivants s'était relâchée. Groupés autour d'un petit feu dans une clairière, loin des centre de population et des infectés, ils n'entendirent pas l'ennemi approcher alors qu'une flèche avait fauché leur sentinelle.
Sortis de nulle-part, les assaillants avaient fait soudain irruption. Ceux qui tentèrent de résister furent aussitôt éliminés.
Les survivants avaient vite déposé les armes. Leur leader tenta de parlementer. Son erreur fut de se faire connaitre comme le chef du petit groupe.
Dague quand à lui était légèrement à l'écart lors de l'assaut, et réussi à se glisser hors du piège sans être repéré.
Mais au lieu de s'enfuir, il était resté à distance, observant les pillards. Après avoir dépouillé leurs victimes de tout ce qui pouvait leur être utile, les assaillants s'emparèrent du bivouac.
Mikaël attendit l'aube pour passer à l'attaque. Leur attention s'était relâchée, ce qui leur fut fatal.
Son pistolet silencieux lui permit d'éliminer discrètement la sentinelle. En s'approchant des tentes, il repéra un des pillards, qui s'était isolé dans la plus grande tente avec une des femmes du groupe. Sans doute leur chef.
La lutte ne dura que quelques secondes. Surpris, l'homme n'eu rien le temps de faire avant que Dague ne lui tranche la gorge.
Quelques minutes plus tard, les sept pillards gisaient morts dans le campement, abattus ou poignardés.
L'attaque n'avait laissé que cinq survivants au groupe, moins de la moitié. Deux femmes, un adolescent de seize ans, un jeune adulte et Mikaël.
Autrefois, il aurait probablement continué seul. Ceux que les pillards avaient laissé en vie étaient les plus faibles, un poids plutôt qu'une aide. Mais il avait changé.
Un des assaillants avait un carnet, mentionnant une communauté importante à quelques kilomètres, installée dans un château et qu'ils évitaient soigneusement de peur d'être reconnus par d'anciennes victimes.
Animé de cet espoir, Dague avait mené les survivants jusqu'au lieu indiqué. Ils avaient frôlé la mort, malgré les armes récupérées sur ceux qui les avaient attaqués, mais ils étaient finalement parvenus à destination en vie.
Là une cinquentaine de survivants s'étaient solidement barricadés dans un ancien château fort, protégé derrière les épais remparts de pierre.
Ils étaient en sécurité, enfin.
Mikaël avait pourtant eu du mal à s'adapter à ce nouveau cadre. Le château avait besoin de "raiders" prêts à sortir pour l'approvisionner dans la petite ville et les villages voisins. Ce travail dangereux lui convenait étrangement mieux que la vie collective. Les survivants étaient sympathiques, et il s'était fait des amis. Malgré cela, au château il rongeait son frein, ressassant ses échecs, et les morts qu'il n'avait put empêcher. Il n'avait qu'une hâte: repartir en chasse.
L'un des rares dont il s'était rapproché était le leader du groupe, Damien. La quarantaine, il était un des rares survivants ayant dépassé 25 ans. Son statut ne l'empêchait pas de quitter régulièrement la protection des murs avec les raiders.
C'est au court d'une de ses sorties qu'il s'était retrouvé seul à seul avec lui. Ce jour là, Damien n'était pas venu chasser. Il venait parler avec lui.
Les deux hommes s'étaient assis, dans une maison désertée et sûre. Ce n'était pas la première fois qu'ils faisaient cela, mais cette fois, le leader avait l'air las. Le genre de lassitude que tout le repos du monde ne suffirait à effacer.
Il avait parlé, longtemps. Expliqué à Mikaël que le château atteindrait bientôt ses limites, et qu'ils devraient chercher un nouvel abri. Cette idée le hantait; il ne voulait pas jeter les siens dans l'inconnu. Mais que faire?
Il avait longuement réfléchis, élaboré un plan, qui nécessitait d'envoyer un des leurs chercher de l'aide. Et l'endroit où il pensait en trouver, c'était à Paris.
Un survivant fraîchement arrivé au château parlait d'avions survolant le site, et le labo de recherche se trouvait là bas, avant l'évacuation. Ce qui restait de la civilisation serait là-bas.
Ce serait un voyage dangereux; beaucoup de gens seraient près à torturer et tuer pour obtenir la localisation du château, sans parler d'être seul, en zone densément peuplée d'infectés. Pourtant Mikaël avait accepté sans hésiter.
Leur survie en dépendait.
Alors qu'il se levait, Damien avait recommencé à parler. Son ton était devenu plus grave encore. Et il avait raconté une histoire, une histoire d'avant la fin du monde. Celle d'un homme amoureux d'une femme, enceinte d'un autre. D'une petite fille élevée comme la sienne, et d'une séparation. La femme buvait, trop, et un jour il l'avait menacé de partir avec leur fille.
Mais en réponse à son ultimatum, c'était elle qui l'avait mis à la porte. Légalement, il n'était pas son père. Toutes ses tentatives de la récupérer étaient vouées à échouer.
Il avait continué à penser à cette gamine et cette femme qui portaient son nom, durant des années, sans pouvoir l'oublier, s'enterrant dans un coin perdu de la France. Un beau village surplombé d'un château fort...
Il avait continué d'envoyer des lettres chaque année, sans jamais recevoir de réponses.
Mais un jour, alors que l'épidémie commençait à ébranler l'humanité, il avait reçu une lettre à l'écriture familière.
Il lui avait fallu des mois pour réussir à trouver le courage de l'ouvrir. Des mois où le monde avait sombré dans l'anarchie... Et où Paris avait été placée sous un ordre d'évacuation.
Cette lettre, c'était celle qu'il avait tant espérée autrefois. Une photo l'accompagnait, celle d'une adolescente au cheveux verts. Une adolescente qui vivait dans une ville que l'armée bombardait.
C'était trop tard. Rongé par les remords, il avait attendu la mort. Mais alors que tellement de gens mourraient autour de lui, son corps avait résisté.
Doucement, il avait remonté la pente, aidant les autres survivants de son mieux, jusqu'à devenir le chef du château, un dérisoire îlot de vie au milieu d'un océan de morts.
Chaque jour, il avait pensé à la fille aux cheveux verts. Et puis, un survivant venu de Paris s'était un jour joint au groupe. Il était blessé, mais avant de succomber il avait parlé d'avions et de militaires qui tiendraient encore la capitale.
Mikaël et son groupe étaient arrivés deux jours plus tard.
Lentement, Damien avait sortit la photo qui ne le quittait jamais et l'avait faite glisser sur la table.
Avec la même douceur, Mikaël l'avait prise et observé l'adolescente. Elle ne souriait pas, et regardait délibérément ailleurs que vers le photographe. En arrière plan on voyait un immeuble de banlieue comme il y en avait des milliers.
Il retourna l'image, pour y lire un nom et une date tracés d'une écriture tremblante.
-S'il y a la moindre chance... commença Damien.
-Je comprends, répondit simplement son interlocuteur en mettant le cliché dans son carnet.
Trois jours plus tard, il quittait le château en direction de Paris, avec une double mission.
Ramener l'espoir à une communauté, et l'espoir d'un père.
Conclusion
.
J'arrive au bout de la route.
Je viens de manger, assis au sommet d'un camion. Devant moi s'élèvent les ruines de la ville lumière.
Dans les rues en contrebas, les silhouettes des infectés déambulent entre les carcasse de voitures et les trous d'obus. Pas très accueillant.
Pourtant c'est là-bas, peut-être, que je trouverais ce que je suis venu chercher. La civilisation, mais aussi la chance de rédemption d'un homme bien. Alors que j'écrit ces lignes, j'ai ressorti la photo de Johanna Burel, la fille aux cheveux verts qui ne sourit pas.
Les chances qu'elle ait survécu à tout ça et qu'elle soit encore là son infimes. Pourtant, mon instinct me dit le contraire.
Un nouvel avion passe au dessus de moi dans un grondement conquérant. C'est déjà le deuxième depuis ce matin. Pas de doute, ce que je cherche est ici.
Il est temps de refermer ce carnet et d'entrer dans Paris. La nuit sera là dans six heures, je dois trouver un abri avant.
Journal de Dague, Août 2023
Derrière l'écran
.
Ton prénom et/ou Pseudo : Pierre, j'utilise le pseudo "Varig" en général
Ton âge : 22 ans
Quelques mots sur toi : Mmmm pas grand chose à dire, si ce n'est que j'ai une petite expérience militaire, et que je rp depuis environ 4 ans.
Comment tu es arrivée ici : Via Avventura, un de vos partenaires ^^
Ton avis sur le forum : j'aime beaucoup ! Hâte de participer!
Code par Eli-Ls.